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Quand, même, la Banque du Japon s’y met !

Publié le 21 décembre 2022

Auteur

Véronique Riches-Florès

Économiste

Depuis la résurgence inflationniste du milieu de l’année 2021, les marchés n’ont jamais cru à une dérive durable de l’inflation et ont systématiquement sous-estimé son ampleur, sa durée et à quel point le contexte de taux d’intérêt s’en trouverait modifié. Les banques centrales elles-mêmes, ont mis bien du temps à intégrer les risques d’un possible changement de paradigme économique. Confiantes dans leur capacité à juguler les tensions en place, elles ont systématiquement laissé entendre qu’elles seraient en mesure de lever le pied du frein monétaire qu’elles avaient actionné cette année à horizon prévisible, la FED évoquant un « pivot » de sa politique. Alors que le repli des prix de l’énergie a commencé à porter ses fruits, encourageant à penser que le pic d’inflation était bel et bien dépassé, la FED comme la BCE étaient attendues en décembre pour celer la fin prévisible du cycle de hausses de leurs taux directeurs.

Prix à la production

Tel n’a pas été le cas. L’une et l’autre sont apparues beaucoup plus dubitatives sur les perspectives d’inflation et convaincues qu’elles devraient aller plus loin pour garantir un retour de l’inflation à leur objectif, intangible, de 2 %. La BCE, moins inquiète qu’elle ne l’était jusqu’alors sur la situation conjoncturelle, s’est, en particulier, montrée déterminée à relever ses taux directeurs à un rythme soutenu jusqu’à parvenir à un degré de restriction monétaire suffisant pour enrayer la mécanique inflationniste en place. Après avoir relevé ses taux directeurs à 2,5 %, c’est vers un objectif de 4 % que sa communication pointait. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Les bourses, récemment regonflées par les perspectives de repli de l’inflation et l’apaisement des menaces de hausses de taux, ont accusé le coup.

Taux à 2 ans allemands

Mais c’est peut-être d’ailleurs qu’est venu le catalyseur le plus important d’un changement de perception, en l’occurrence du Japon.

Car, l’élargissement des marges de fluctuations des rendements à 10 ans des bons du Trésor japonais, décidé par la BOJ le 20 décembre, n’est pas seulement venu clore une nouvelle vague de resserrement des conditions monétaires de la FED, la BCE, BoE et BNS de la semaine précédente. Cette annonce, en provenance d’un pays en proie à une déflation chronique depuis plus de vingt ans, a une résonance toute particulière.

Première à avoir initié les pratiques non conventionnelles d’assouplissement quantitatif (QE), dont s’est largement inspirée la FED depuis 2008, puis la BCE, la BOJ a fini par être perçue comme ayant un train d’avance sur les grandes banques centrales occidentales ces dernières années et ses agissements sont, de fait, loin de passer inaperçus. Dès lors, à tort ou à raison, sa résistance à une quelconque modification de sa politique monétaire face à la résurgence inflationniste de 2022 entretenait l’espoir qu’elle voit juste, que l’inflation soit passagère et que les autres banques centrales finiraient par revenir sur leurs pas.

Bilans de la BoJ, la FED et la BCE

C’est bien cette interprétation que le changement de cap de la Banque du Japon remet implicitement en question et pour cette raison que son écho a tellement retenti sur les marchés mondiaux, car si cette dernière n’a pas encore relevé ses taux directeurs, la direction est bel et bien donnée.

Mais alors, la vague d’inflation serait-elle à ce point puissante qu’elle pourrait supplanter la déflation japonaise que plus aucun observateur n’envisageait pouvoir sortir du décor ? Manifestement, la Banque du Japon, même, commence à l’envisager.

Il est vrai que les derniers résultats en la matière sont singulièrement atypiques. Non seulement, l’inflation a est à son plus haut niveau depuis décembre 1990, à 3,7 %, année de l’éclatement de la bulle spéculative qui a ouvert la voie à la déflation, mais quasiment 80 % des composantes sous-jacentes de l’indice des prix à la consommation sont en hausse. Comme ailleurs, l’envolée des prix, bien que prioritairement liée à l’énergie se propage comme le pays ne l’avait jamais connu de très longue date. Les prix des biens durables, dopés par l’effondrement du yen, ont flambé de plus de 7 %, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1975 et les anticipations d’inflation des ménages ont littéralement décollé : en novembre, 63 % des Japonais interrogés prévoyaient une inflation de plus de 5 % dans un an !

Anticipations d’inflation à un an des consommateurs japonais

Derrière le changement de posture de la BoJ, c’est bien tout le diagnostic sur la puissance de la résurgence de l’inflation 2022 qui est en jeu et in fine ce qui fera l’avenir plus ou moins immédiat du contexte économique international et des perspectives de taux d’intérêt.

Les taux à dix ans américains qui avaient peu réagi aux annonces de la FED ont, de fait, été beaucoup plus sensibles à celles de la BoJ, lesquelles ont également le pouvoir de grandement influencer le comportement des investisseurs internationaux. Manifestement, la visibilité au sujet de la réalité et de la profondeur de l’inflation en présence est loin d’être acquise et restera-t-il un enjeu majeur de l’année 2023.


Véronique Riches-Flores - économiste

À propos de Véronique Riches-Florès, auteur de cet article

Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Flores dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la Banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.

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