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2024 – l’inflation s’éclipse

Publié le 28 décembre 2023

Auteur

Véronique Riches-Florès

Économiste

La résurgence de l’inflation à partir du printemps 2021 a pris le monde de court. Après quasiment une décennie de déclin, l’inflation semblait affaire d’un lointain passé. Dans le sillage du Japon, la destinée déflationniste des pays de l’union monétaire suscitait de moins en moins de doute, menaçant y compris, quoique d’un peu plus loin, les États-Unis. Pour tenter d’inverser la tendance, les banques centrales avaient poussé les murs. Les politiques non conventionnelles, consistant principalement en l’achat d’obligations souveraines et en taux d’intérêt négatifs, s’étaient généralisées. Elles ont atteint leur paroxysme au printemps 2020, lors de la première vague de Covid, alors que les anticipations de long terme d’inflation étaient tombées à moins de 0,7 % en zone euro et moins de 1,2 % aux États-Unis. Début 2021, la lutte contre la déflation avait porté le bilan cumulé des principales banques centrales, Fed, BCE, BoJ et BPC à 50 % du PIB agrégé des États-Unis, la zone euro, la Chine et le Japon ; le stock d’obligations mondiales à rendement négatif dépassait, de son côté, 18 000 milliards de dollars, du jamais vu, ni même jamais imaginé.

Comment est-on passé de cette situation, souvent qualifiée de déflation séculaire, à la résurgence subite d’une inflation hors norme à partir du printemps 2021, reste un sujet de débat.

Cocktail inflationniste

Pratiques monétaires trop zélées, politiques malencontreuses de relance en pleine crise Covid, alors que l’industrie, paralysée, ne pouvait répondre au surcroît de demande, conflit commercial sino-américain, sont simultanément incriminés. À chacune de ces bonnes raisons se sont ajoutées les conséquences de la guerre en Ukraine, à partir de février 2022 : flambée des prix de l’énergie et des cours agricoles, tensions géopolitiques, politiques d’armement et de subventions, devenues stratégiques, aux entreprises et aux ménages, ont ajouté de l’huile sur le feu d’une inflation déjà exceptionnellement élevée au regard des décennies passées.
L’année 2022 a, ainsi, marqué le retour de taux d’inflation dignes du début des années quatre-vingt dans le monde développé, réveillant le spectre d’une spirale inflationniste incontrôlable, comparable à celle des années soixante-dix. Non seulement les trois premières années de la décennie avaient cumulé des chocs inédits mais les changements structurels promettaient de nuire durablement à la stabilité des prix.

Dans ces mêmes colonnes nous publiions à l’automne 2022 « La fin de la grande modération », un article qui pointait l’importance des ruptures à l’œuvre entre le passé désinflationniste de ces quarante dernières années et le vraisemblable futur d’une instabilité chronique de l’inflation.

Ou en sommes-nous aujourd’hui ?

Les politiques monétaires d’une rare agressivité semblent avoir vaincu le mal. En Occident, les banques centrales ont relevé le niveau de leurs taux directeurs comme elle ne l’avaient jamais fait en si peu de temps. Entre le milieu de mois de décembre 2021, lorsque la Banque d’Angleterre initie le mouvement, et l’été 2023 lorsqu’il semble trouver son terme, les hausses du taux de base atteignent 515 points Outre-Manche, celles des Fed Funds s’élève à 525 points et celles du taux repo de la BCE 450 points de base.

Malgré ces actions radicales, le resserrement monétaire a mis un certain temps à produire ses effets. Il y a plusieurs raisons à cela :

Il a finalement fallu attendre l’été 2023 pour observer plus nettement les effets du resserrement des politiques monétaires sur la demande et l’inflation, moment à partir duquel les taux d’intérêt réels sont revenus, la plupart du temps, en territoire positif.


Après leur flambée de 2022, les prix des matières premières s’étaient assagis. La crise énergétique avait été surmontée par les pays européens et les difficultés de l’économie chinoise, en proie non pas à une problématique inflationniste mais tout l’inverse, ont largement pressurisé les cours mondiaux du pétrole et des matières premières industrielles. L’origine du choc inflationniste a fini par se dissiper et l’inflation à baisser vers des niveaux plus supportables, quand bien même toujours très supérieurs aux objectifs des banquiers centraux.

Désinflation toute ?

La rapidité avec laquelle l’inflation a finalement reflué semble avoir surpris la communauté et les banques centrales, encore menaçante en milieu d’été, ont acté ce changement de régime ces dernières semaines : les hausses de taux ont été stoppées et certaines évoquent déjà leur possible baisse l’an prochain.
Sur les marchés, le changement de cap des autorités monétaires a provoqué une chute exceptionnelle des taux d’intérêt. Depuis la mi-octobre, lorsque la Fed a surpris par son changement de posture, les taux à 10 ans ont gommé en quelques semaines la quasi-intégralité de leur hausse des neuf premiers mois de l’année. Les anticipations à long terme d’inflation des marchés, jusque-là restées rigides, ont rapidement chuté.

Les perspectives d’inflation de court terme ont, il est vrai, considérablement évolué ces derniers mois.
L’activité, en apparence résiliente, montre de plus en plus de signes de fragilité, même aux États-Unis où malgré un net rebond du PIB au troisième trimestre, les indicateurs avancés continuent à alimenter le spectre d’une récession prochaine.

En Europe, l’activité en berne laisse de moins en moins de place aux hausses de prix. Le rattrapage post-Covid, principalement, dépassé, les conditions conjoncturelles se détériorent et avec elles les perspectives du marché de l’emploi, rendant les conditions monétaires de facto beaucoup plus contraignantes.
Au-delà, les difficultés chinoises infusent des pressions déflationnistes sur l’ensemble de l’industrie mondiale. Les cours des matières premières et du pétrole, très sensibles à la demande de l’Empire du milieu, ont fortement reflué et les industriels chinois redoublent de concurrence à l’égard de leurs rivaux, européens notamment.

Les perspectives de court terme d’inflation soulèvent de moins en moins de doute : elles sont en net repli et justifient que les banques centrales lèvent le pied.
L’inflation a-t-elle pour autant disparu et la situation pourrait-elle revenir à celle qui prévalait avant le Covid ?

Si rien ne permet d’écarter une telle hypothèse à brève échéance, le fond de l’histoire ne semble plus celui-ci. Dans un monde de plus en plus éclaté, où s’exercent les rivalités commerciales et stratégiques croissantes, les facteurs d’instabilité du niveau général des prix ne semblent pas amenés à disparaître de sitôt. Aujourd’hui supplantés par les effets du resserrement monétaire et par une conjoncture moins porteuse, nul ne sait dire avec précision quand et comment ils se manifesteront à l’avenir. C’est, entre autres éléments d’incertitude, une des grandes difficultés auxquelles risquent de se confronter les banques centrales, dans un environnement de liquidités encore très abondantes qui ne demandent qu’à amplifier les signaux d’apaisement des politiques monétaires.
Si 2024 semble devoir être l’année du succès de la lutte contre l’inflation, l’histoire de plus long terme est encore à écrire.