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L’insoutenable déclin de la zone euro par rapport aux États-Unis

Publié le 08 avril 2024

Auteur

Véronique Riches-Florès

Économiste

Le décrochage de la zone euro par rapport aux États-Unis n’est pas un fait nouveau : entre 2000 et 2023, le retard de croissance du PIB des pays de l’union monétaire a atteint 15 % relativement à l’américain et rares ont été les périodes de succès au cours desquelles la conjoncture européenne a su prendre le dessus sur celle de son concurrent.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Le phénomène s’est néanmoins sensiblement accentué depuis dix ans et plus encore ces dernières années, au point que, mesurée par habitant, la croissance de la zone euro n’a même pas réussi à égaler celle du Japon, pourtant, souvent décrit comme le grand malade du monde développé. Depuis 2010, en effet, le PIB réel par habitant du Japon s’est accru de 14 %, trois points de plus qu’en zone euro, tandis que la progression américaine atteignait 24 %.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Les écarts de croissance entre la zone euro et les États-Unis ont néanmoins pris une tout autre dimension depuis deux ans. Après avoir déployé des efforts sans précédent pour faire face aux crises successives de ces trois dernières années, les pays de l’union monétaire ne sont toujours pas parvenus à redresser la barre. Pire, leur déclin est amplifié par les difficultés de la première économie de la région, l’Allemagne, dont le modèle de croissance est de plus en plus souvent remis en cause. Dans un monde adverse face auquel les pays européens voient tout à la fois disparaître le soutien historique de leur allié américain et l’espoir d’une économie mondiale de plus en plus ouverte à leurs exportations qui a guidé leurs choix de politiques économiques depuis la création de la monnaie unique, ce retard est devenu un sujet de préoccupation majeure. Comment l’expliquer et comment y remédier ?

Le coût du vieillissement…

Il y a des raisons fondamentales à ce constat, en premier lieu d’origine démographique. L’Europe, c’est un fait, vieillit à un rythme accéléré, nettement plus soutenu que celui des États-Unis. L’âge médian de ses populations y est en l’occurrence souvent plus proche de celui des Japonais (plus de 48 ans) que de celui des Américains, près de dix ans plus jeunes, comme c’est notamment le cas en Italie, en Allemagne, au Portugal et en Espagne.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Résultat de cette situation, la population en âge de travailler de la zone euro a culminé en 2011 et s’est contractée, depuis, à un rythme de 0,2 % par an en moyenne. Au cours de la même période, celle des États-Unis a continué de croître de 0,4 % par an, ce qui constitue, toutes choses égales par ailleurs, un avantage relatif de 0,6 point de pourcentage pour l’économie américaine, équivalent, depuis douze ans, à la moitié de la surperformance relative du PIB réel des États-Unis par rapport à celui de l’UEM.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond *Allemagne, France, Italie, Espagne, Belgique, P-B., Portugal, Grèce

De tels écarts de structures et de dynamiques démographiques ne peuvent à l’évidence autoriser aux deux régions des performances comparables.
Les conséquences du vieillissement démographique occupent, c’est indéniable, une bonne place dans le ralentissement structurel des économies européennes, à travers plusieurs mécanismes, parmi lesquels les principaux se manifestent par une raréfaction de la demande, une érosion de l’effort d’investissement productif et une dégradation des comptes publics via, simultanément, un accroissement des coûts de santé et de retraites et une croissance ralentie des recettes.
Chacun de ces effets joue en défaveur des gains de productivité, qui constituent l’autre jambe du potentiel de croissance économique, que les économistes définissent comme l’agrégation de la croissance de la population active et de la productivité.
En l’occurrence, si les lendemains de la crise financière de 2008 ont été marqués par une anémie généralisée de la productivité dans le monde industrialisé, les États-Unis ont réussi à sortir de ce faux pas à partir de 2018, puis beaucoup plus significativement depuis l’épidémie de Covid, ce que n’ont pas réussi à faire les pays de la zone euro. De ce côté-ci de l’Atlantique, en effet, la productivité a même baissé depuis 2022, pour finalement creuser un écart de plus de 10 % par rapport à l’américaine au cours des six dernières années.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond
… mais aussi, celui des politiques économiques que tout a opposé

Pour autant, quoi qu’il en soit de l’importance des éléments démographiques dans les facteurs explicatifs du déclin de l’économie européenne, les politiques économiques menées ces quinze dernières années ont, sans aucun doute, aggravé la situation plutôt que l’inverse.
Les stratégies mises en place pour assainir la situation au lendemain de la crise de 2008 ont été radicalement différentes de part et d’autre de l’Atlantique :

Deux voies que tout a opposé, sur la forme comme sur le fond.
Outre les effets délétères des politiques d’austérité de la décennie passée sur les consommateurs européens, la stratégie a considérablement pesé sur l’investissement public et, par là-même, sur la productivité et l’investissement privé. De leur côté, dans un environnement de faible croissance de la demande internationale et de moindre soutien de la Chine, les gains de compétitivité n’ont pas rapporté les fruits escomptés à l’exportation. Ces dernières ont au mieux stagné ces dernières années quand elles n’ont pas baissé comme c’est notamment le cas du plus gros exportateur de la région, l’Allemagne, et de la France.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Au total, non seulement, l’Europe a perdu près d’une décennie de croissance mais elle a également perdu une bonne partie de son socle industriel, aujourd’hui plus menacé encore par les déboires allemands et la montée du protectionnisme.

Redresser le tir

L’orientation de la politique économique de l’UE a radicalement changé avec le choc de la crise sanitaire et la crise énergétique de 2022, consécutive à l’éclatement de la guerre en Ukraine.
Le plan de relance de juillet 2020 a constitué un des marqueurs les plus forts de la rupture avec le passé, construit dans un esprit de cohésion sans précédent autour du projet ambitieux « NextGenerationEU ». Adopté pour faire face au choc économique de la pandémie, il s’élevait à 750 milliards d’euros et a été déployé dans la plupart des États membres. L’initiative collective se substituait pour la première fois aux nationales et aux aides spécifiques des fonds européens, et pour la première fois s’accompagnait d’un financement par l’UE.
Trois ans plus tard, force est néanmoins de constater que ces efforts ne portent pas les fruits escomptés. Crise énergétique, inflation et durcissement monétaire inédits ont englouti une bonne part des bénéfices attendus, tandis que la mise en place des mesures de relance, restée à l’initiative des États a eu pour effet d’en diluer la force de frappe.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Encore une fois, l’Europe donne l’impression de ne pas savoir faire aussi bien que les États-Unis. L’inflation Reduction Act de J. Biden et les mesures de soutien au développement de l’industrie des micro-processeurs ont, en comparaison, eu des retombées spectaculaires qui ont participé pour une large part au rattrapage de la croissance et de la productivité américaine l’an dernier.
Une nouvelle fois, les limites d’une construction européenne incomplète dans laquelle les intérêts nationaux l’emportent encore trop souvent sur le collectif, sont pointés du doigt. La reconstruction économique de l’Europe ne pourra pas s’exonérer d’une reprise de l’investissement, seule à même de restaurer des gains de productivité suffisants pour réduire la facture d’un vieillissement démographique accéléré.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Dans un environnement perclus d’incertitudes et de compétition féroce, cela ne pourra vraisemblablement pas se faire sans le préalable d’une impulsion publique de grande ampleur dans les secteurs d’avenir, sur lesquels les années d’austérité se sont soldées par un retard considérable par rapport à ses partenaires, souvent, aujourd’hui, devenus rivaux.  

Sources : RichesFlores Research, Macrobond

Les Américains l’ont compris et ont mis en place les politiques correspondantes dont on voit aujourd’hui les résultats sur l’investissement privé, l’emploi et la croissance. Le Japon s’attèle à la tâche avec une ambition industrielle qui n’avait plus eu cours depuis longtemps. L’Europe doit suivre et rattraper un retard de plus en plus pénalisant sans lequel sa souveraineté même pourrait être, in fine, affaiblie.

Sources : RichesFlores Research, Macrobond