Décryptages
Trois conseils pour éviter les pièges de la société civile
Publié le 18 mai 2020
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Les sociétés civiles fascinent, les charmes en sont connus, notamment comme instrument performant pour les transmissions familiales: transmettre l’avoir, conserver le pouvoir, c’est le credo des démembrements de parts sociales. Pourtant, relations d’argent et relations familiales ne font pas toujours bon ménage. Des contestations peuvent naître, les recueils de jurisprudence sur les sociétés civiles en témoignent.
Face aux risques de conflits, la liberté contractuelle offerte par le droit des sociétés permet d’en conjurer certains par la prévision de clauses statutaires appropriées. Trois préconisations illustrent le propos.
1. Limiter l’engagement des donataires sur leur patrimoine personnel
En raison des avantages liés à l’opération, il est de pratique courante pour des parents de consentir une donation-partage en nue-propriété sur les parts de la société civile, tout en se réservant à la fois l’usufruit et la gérance de cette dernière.
Dans ce cas, les donateurs, simples usufruitiers, perdent leur qualité d’associé et ce sont les seuls donataires, nus-propriétaires, qui répondent indéfiniment sur leur patrimoine des dettes sociales en application de l’article 1857 du Code civil. Or, l’article 1849 prévoit que le gérant, en l’occurrence le donateur, engage la société par tout acte entrant dans l’objet social et c’est à l’aune de cette notion, simple clause des statuts, que se rattache la qualification de dette sociale.
Il en résulte que la mesure de l’emprise des créanciers sur le patrimoine de chacun des associés, ici les nus-propriétaires, dépend du caractère étendu ou restrictif de l’objet social.
Pour éviter du passif social pesant sur la tête des enfants, une rédaction réfléchie de l’objet social s’impose et une clause statutaire devrait imposer l’autorisation des nus-propriétaires pour tout emprunt contracté par la société civile.
2. Écarter le risque de déchéance de l’usufruit
Le plus souvent, dans le cas d’une donation-partage, un aménagement des statuts de la société civile conduit à l’attribution de tous les droits de vote au parent usufruitier.
Au regard du seul droit des sociétés, la pratique est consacrée par la jurisprudence pourvu que les nus-propriétaires en application de l’article 1844 du Code civil participent, à peine de nullité, aux décisions collectives : ils sont convoqués, informés, débattent mais ne votent pas.
Une autre barrière existe, souvent oubliée, à cette pleine attribution des droits de vote à l’usufruitier.
Pour que le dispositif soit indemne de toutes critiques, l’usufruitier dans l’exercice du vote doit s’abstenir de porter atteinte à la substance de la chose.
Quelle est la sanction encourue ? Elle est redoutable : c’est la déchéance de l’usufruit édictée par l’article 618 du Code civil. Le nu-propriétaire devient alors plein propriétaire et le donateur serait alors exclu de la société. Cette déchéance a, par exemple, été prononcée par le juge pour atteinte par l’usufruitier à la substance d’un portefeuille de valeurs mobilières (Cass. 1ère civ. 16 juin 2011).
Face à ce risque, il est donc prudent, dans les statuts, de réserver au nu-propriétaire son droit de vote en cas de modification statutaire importante ou en cas de fusion ou de dissolution de la société. A défaut, il faudrait impérativement obtenir l’accord exprès du nu-propriétaire.
3. Éviter l’atomisation des porteurs de parts
Le décès d’un associé emporte, en principe, transmission des parts aux héritiers. Or, l’intrusion des héritiers de chaque associé qui, eux-mêmes, peuvent avoir plusieurs enfants, conduit à terme à une situation ingérable avec une atomisation des porteurs de parts, aux intérêts souvent contradictoires, source d’une paralysie possible des organes sociaux, voire d’une dissolution.
Fort heureusement, le droit des sociétés civiles propose, par le choix de clauses statutaires, un dispositif particulièrement riche en potentialités permettant de sélectionner les héritiers du défunt rentrant ou non dans le cercle des associés (articles 1870 et 1870-1).
Tout d’abord, il peut être prévu que la société continuera avec les seuls associés survivants. Il suffit donc que les héritiers choisis aient la qualité d’associé avant le décès de leur auteur.
Il peut également être prévu que la société continuera, soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l’autorisent, par disposition testamentaire. Ici, discrétion et efficacité vont présider au choix du défunt. Sans attendre le partage, les parts sortent de l’indivision successorale pour être attribuées aux heureux élus. La contre-valeur sera payée aux héritiers écartés par les nouveaux titulaires.
En cas de décès d’un associé, il peut également être prévu par les statuts, en application de l’article 1870, une clause d’agrément. Il faut souligner l’autonomie de cette clause par rapport à celle qui gouverne les cessions entre vifs.
Pour éviter toute difficulté, il est important de prévoir une clause d’agrément ad hoc visant le décès d’un associé et stipulant, par exemple, que la majorité des seuls associés survivants représentant la moitié du capital social, les parts du défunt n’étant pas prises en compte, se prononcent sur l’agrément.
Ces considérations confirment le rôle d’organisateur de relations des statuts d’une société civile au service de l’imagination des praticiens.