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La reprise : inégale mais mondiale
Publié le 23 décembre 2020
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La reprise semble encore allusive. Une page s’est pourtant bien tournée depuis l’annonce, la mise en production et les premières distributions des vaccins anti-Covid. Les vagues successives de la pandémie ont déjà donné sa forme à la reprise économique qui s’annonce. En V, en W, en U, selon les régions. Intégrant dans ses calculs les nouvelles interruptions d’activité au quatrième trimestre, l’OCDE a affiné ses estimations pour 2020 et ses prévisions pour 2021.
Pour cette année, l’Organisation s’attend à un recul de 4,2 % du PIB mondial. C’est à peine mieux que les -4,5 % prévus en septembre. Néanmoins, comme le précise le rapport, « les incertitudes liées à la pandémie vont sans doute perdurer ». Aussi revoit-elle à la baisse ses prévisions de croissance pour 2021 : l’économie mondiale devrait rebondir de 4,2 % en 2021, contre 5 % prévus avant la recrudescence de l’épidémie en Europe.
De plus, et compte tenu du temps nécessaire au déploiement du vaccin, l’Organisation s’attend à ce que les conséquences de la crise perdurent, voire même s’aggravent dans certains cas :
- en 2022, le taux de chômage pourrait encore se situer au-dessus de son niveau d’avant-crise (6,9 % contre 5,4 % en 2019).
- De même, les déficits publics seront largement au-dessus de 2019 (-5,7 % en moyenne en 2022 contre -3,0 % en 2019).

Ainsi, l’OCDE et le FMI s’accordent à penser qu’il est essentiel que les Etats poursuivent leurs politiques budgétaires expansionnistes conjointement aux politiques monétaires des Banques Centrales afin d’assurer une reprise durable.
Laurence Boone, cheffe économiste de l’OCDE, affirme dans ce sens que « s’assurer que la dette est supportable ne sera une priorité que lorsque la reprise sera sur les rails ». Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne : face à l’augmentation massive des déficits publics, le retour de la croissance convaincra certains Etats de réduire plus rapidement l’ampleur de leurs interventions. Ce faisant, et tout en laissant les forces du marché reprendre l’initiative, ils devront être capables de passer d’une politique de soutien large à des mesures plus finement ciblées et efficaces auprès des plus fragiles.
Les dernières conférences de presse de l’année de la Banque centrale européenne, comme de la Réserve fédérale, ont confirmé l’intention de deux institutions de maintenir des politiques monétaires particulièrement accommodantes, au travers de leurs outils d’interventions privilégiés que sont désormais les achats de dettes en direct. De son côté, la Réserve fédérale des Etats-Unis a reconduit ses programmes d’échanges de dollars avec les banques centrales partenaires. Cependant, cela risque de changer : désormais, le Sénat compte soumettre la Réserve fédérale plus étroitement à son contrôle afin de limiter sa capacité d’intervention. Préservant sa majorité Républicaine et dorénavant en accord avec Janet Yellen au Trésor, le Congrès pourrait s’opposer à la politique de Jay Powell.
Dans l’ensemble, les actions conjointes des banques centrales des pays développés ont permis à la plupart de celles des pays émergents d’adopter des politiques de détentes monétaires pour leur propre pays, sans souffrir du risque de fuites des capitaux.
Cette atténuation générale des tensions sur les marchés des dettes et des taux a permis d’amortir les chocs économiques subis par de nombreux pays. La baisse récente du dollar est un second motif de soulagement pour nombre d’emprunteurs, dont les dettes sont libellées dans cette devise.
Ainsi, même dispersée, la reprise s’annonce générale. Elle dépend plus de la rapidité de diffusion des vaccins que de conditions économiques intrinsèques.
Par ailleurs, de tels engagements, prorogés pour plusieurs trimestres au moins, devraient maintenir les rendements obligataires au plus bas, sur l’ensemble des courbes. Notons que cette coordination et cette entente entre les institutions centrales et les Etats est d’autant plus importante que l’année 2021 constituera un record en terme d’émissions de dettes publiques. Au sortir de cette crise, l’encours total de la dette mondiale dépassera les 275 000 milliards de dollars[1]. La dette publique atteindra alors 100 % du PIB mondial. L’explosion des dettes des économies avancées caractérise cette crise particulière.
Les Etats-Unis et certains pays Européens – dont la France – connaissent des taux d’endettement public proches voire supérieurs à ceux qu’ils supportaient en temps de guerre.
La croissance économique seule ne suffira pas à réduire ces encours. Il faut s’attendre – et je pense souhaiter – une mise à plat des politiques publiques comportant plusieurs volets
- D’une part, de substantielles économies de fonctionnement sont devenues incontournables.
- D’autre part, les politiques publiques devront adopter un ciblage vers les programmes de soutien aux plus démunis – souvent trop difficiles à repérer, et qui se trouvent de fait exclus des aides auxquelles ils auraient pourtant droit – et en direction des programmes d’investissement d’avenir, pilotés au niveau européen.
De tels efforts ne vont pas sans grandes résistances.
Les experts craignent qu’une baisse supplémentaire de la productivité n’effondre durablement notre potentiel de production et de croissance, nous condamnant à ce que certains ont nommé la « stagnation séculaire ».
Le repli du dollar, qui se confirme depuis début novembre, reflète la reprise de « l’appétit pour le risque » des investisseurs, et la diversification de leurs placements à la recherche de retours sur investissements plus prometteurs. Beaucoup s’attendent par ailleurs à ce que la mise en œuvre – même limitée – du programme économique de Joe Biden se traduise par une hausse de la fiscalité pour les entreprises, et un durcissement des règles environnementales ainsi que d’autres normes, ce qui affecterait la rentabilité des nombreux secteurs qui avaient largement profité de la période précédente.
[1] Estimation de l’IIF (Institut of International Finance)

Les réformes sont douloureuses et le temps d’adaptation toujours trop lent au regard des besoins. Le pire serait probablement que les « habitudes » d’administrer certains pans de notre vie et de nos activités perdurent, alors même que les circonstances exceptionnelles qui les ont suscitées n’aient été levées.
L’année qui s’ouvre reste marquée du sceau de lourdes incertitudes, qui sont comme autant de menaces. La pandémie n’a pas dit son dernier mot, les enjeux de la reprise et l’ampleur des dégâts laissés par la crise sont encore à évaluer. Les tensions commerciales et stratégiques demeurent.
En servant de révélateur à certaines de nos forces comme de nos faiblesses, la crise pandémique s’analyse autant dans ses ruptures que les continuités qu’elle a contribué à mettre en évidence.
Même si nous devions en venir à bout d’ici quelques mois, la reprise qui s’annonce ne sera pas tout à fait un « retour à la normale », si celui-ci signifie le retour à « l’état d’avant ».
Bonnes fêtes de fin d’année.