L’Empire du Milieu des exportations à bas coûts à l’industrie de pointe
Publié le 16 septembre 2025
Auteur
Véronique Riches-Florès
Économiste
Après un premier semestre de bonnes surprises économiques, l’économie chinoise semble caller depuis le milieu de l’été. Les effets porteurs du surcroît de demande américaine et internationale en anticipation des droits de douane américains du début d’année ont fait long feu, en effet. Bien que pour l’instant épargnés par des hausses rédhibitoires des tarifs à l’entrée de leurs produits sur le territoire américain, les exportateurs chinois subissent les taxes universelles décidées par D. Trump, leurs effets en cascade sur la demande mondiale et, au-delà, les conséquences déflationnistes des surcapacités de production de nombreux secteurs. L’économie chinoise, par ailleurs, rongée, par les effets délétères d’un surendettement endémique dont la crise immobilière n’est que la partie la plus visible, est donc, indiscutablement, à la peine.
En déflation depuis les années de crise covid elle n’offre, a priori, que peu d’espoirs de pouvoir renouer avec une croissance suffisante pour assurer la poursuite du rattrapage inachevé du niveau de vie moyen de sa population, par ailleurs rapidement vieillissante. À l’évidence, la Chine n’est pas sur le point de redevenir le moteur de la croissance mondiale, comme cela a pu être le cas par le passé.
Jamais, pourtant, l’Empire du Milieu n’a donné l’illustration de sa puissance comme c’est le cas ces derniers temps. Seul à véritablement répliquer « œil pour œil, dent pour dent » aux attaques commerciales de D. Trump, Xi Jinping semble en passe de parvenir à un accord commercial nettement plus acceptable avec l’administration américaine, tant se priver des produits chinois risquerait de coûter cher aux ménages et entreprises étatsuniens.
Mais si le sujet de la guerre commerciale occupe toujours le premier plan, c’est ailleurs que semble se jouer l’histoire actuelle, en l’occurrence, sur le terrain des prouesses scientifiques, technologiques et énergétiques réalisées par la Chine ces dernières années et sur la puissance que ces progrès lui octroient, en dépit de ses difficultés économiques en présence.
La Chine à l’avant-garde des industries d’avenir
Le contraste est saisissant ces derniers temps durant lesquels les observateurs semblent n’avoir d’yeux que pour les décisions de D. Trump sur ses tarifs, tandis que l’Empire du Milieu enchaine les annonces à un rythme presque aussi soutenu de nouvelles avancées scientifiques et techniques. Alors qu’elle n’a jamais semblé autant fragilisée sur ce qui a fait sa réussite passée, à savoir sa force de frappe à l’exportation de produits à bas coûts, la Chine s’érige aujourd’hui en puissance technologique de premier plan, devançant de plus en plus fréquemment ses rivaux et concurrents.
Ses succès dans l’automobile où elle a su conquérir son indépendance en moins d’une décennie grâce à sa percée dans les véhicules électriques, ne sont que la face la plus visible d’une révolution industrielle beaucoup plus profonde initiée il y a tout juste dix ans par le plan « Made In China 2025 ».
Ce programme, MIC 2025, avait deux ambitions prioritaires :
1- réduire la dépendance du pays à l’égard des technologies étrangères et
2- améliorer le niveau de qualité de la production manufacturière, sur le modèle allemand, grâce à un effort de spécialisation assis sur des investissements ciblés dans la recherche et le développement et un accent particulier sur l’innovation technologique.
Il visait dix secteurs prioritaires : les nouvelles technologies de l’information, la robotique avancée, l’énergie, renouvelable en particulier, les nouveaux matériaux essentiels, l’aérospatiale, l’ingénierie marine, le ferroviaire, la santé, la biopharmacie et la machinerie agricole.
Portés par des efforts d’investissements publics exceptionnels de plusieurs centaines de milliards de dollars, des subventions et autres mesures de soutien financier, les développements de ce vaste programme ont, malgré tout, été précieusement gardés et sont assez largement passés inaperçus. Dans le contexte économique très instable des dix dernières années, ce n’est pas par ses succès que l’économie chinoise s’est démarquée mais par ses échecs et difficultés récurrentes.
Les effets de la stratégie MIC 2025 se révèlent plus nettement ces derniers temps. Fin 2024, 85 % des objectifs initiaux avaient été atteints, promettant des avancées notables dans les industries d’avenir, depuis révélées par des réalisations concrètes dans de nombreux domaines de pointe, sur lesquels la Chine s’impose, déjà, en leader mondial :
• L’intelligence artificielle, l’informatique quantique, les véhicules électriques et la technologie des batteries.
• Les énergies renouvelables dont le pays est devenu le premier producteur à l’échelle internationale et fournit 80 % à 95 % des panneaux solaires utilisés dans le reste du monde.
• Le secteur de l’aéronautique en plein essor et les avions de la Comac qui n’ont plus grand-chose à envier à ceux des avionneurs historiques, Airbus ou Boeing. Dans l’industrie des drones, également, où les grands noms chinois contrôlent jusqu’à 70 % du marché mondial.
• La santé numérique, avec l’intégration de l’IA dans les diagnostics permettant la détection précoce de maladies, le cancer notamment, l’estimation de l’âge biologique et la chirurgie à distance.
• Sans parler des succès dans l’aérospatial, la conquête et la recherche spatiales…
La Chine conquérante
On comprend mieux les craintes qui animent ses concurrents, au premier rang desquels, les Américains qui, derrière leurs attaques commerciales, ont comme premier objectif d’entraver la poursuite d’un essor fulgurant.
L’histoire qui se joue aujourd’hui est celle d’une Chine conquérante, indiscutablement très en avance dans les domaines d’avenir et de plus en plus influente sur le monde en développement, à l’heure où les pays développés s’en détournent, où D. Trump confisque l’USAID et où les autres n’ont plus les moyens d’entretenir leur influence sur ces régions du monde, par ailleurs, de plus en plus organisées.
Le 25e Forum de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) des 31 août et 1er septembre derniers, à Tianjin, n’est qu’une illustration parmi d’autres de la stratégie de l’Empire du Milieu face aux bouleversements opérés par l’administration américaine sur la scène commerciale et géopolitique internationale.
La Chine a à cœur d’être reconnue comme une puissance amie du monde émergent à l’égard duquel elle soigne son image de puissance coopérante, garante du multilatéralisme, de l’ordre mondial et d’un développement harmonieux. Le caractère belliqueux de D. Trump constitue, à ce titre, une occasion inespérée d’accélérer le processus de coopération avec le monde émergent à l’égard duquel ses prouesses technologiques lui offrent de nombreux nouveaux atouts. Fort de l’essor de sa puissance énergétique, dans le solaire notamment, et des avancées réalisées en termes de transition environnementale, Pékin se veut le chantre de la croissance verte et de l’exportation d’un modèle de croissance durable qui, s’il ne manque pas de contradiction pour l’économie la plus émettrice de CO2 au monde, constitue un gisement considérable de relations économiques et diplomatiques renforcées avec les pays du Sud Global.
La Chine change de statut et gagne en influence technologique mais aussi idéologique et stratégique. C’est en partie cette nouvelle page de l’histoire chinoise que commencent à observer les investisseurs qui, après plus d’une décennie de sous-performance des bourses chinoises, semblent en passe de lui offrir un début de revanche…
Date de rédaction : 15 septembre 2025
À propos de Véronique Riches-Florès, auteur de cet article
Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Florès dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique – Observatoire français des conjonctures économiques –, et dans la banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.