Dette américaine, le contrat de confiance fragilisé

Publié le 19 mai 2025

Auteur

Véronique Riches-Florès

Économiste

Le sujet d’une possible crise du dollar et de la dette américaine s’est imposé depuis le retour de D. Trump à la tête des Etats-Unis. La volonté affichée par le président américain de négocier une dépréciation du dollar à l’occasion d’un accord international conclu dans sa résidence de Mar-a-Lago n’est naturellement pas étrangère à ces inquiétudes, sur fond de déficits extérieurs records et de la nécessité d’envisager un nouveau relèvement du plafond de la dette fédérale d’ici l’été, sous peine de ne pouvoir éviter un défaut, selon les dires mêmes de Scott Bessent, secrétaire d’État au Trésor. Les Américains nous ont habitués à ces situations extrêmes, jusqu’alors sans frais, parvenant toujours à trouver un compromis de dernière minute pour éviter un scénario catastrophe. L’annonce a néanmoins une résonance particulière face à la défiance accrue du reste du monde qu’inspire le manque de visibilité de la politique américaine depuis le 20 janvier.

Sans observer de désamour manifeste des investisseurs à l’égard des titres de la dette américaine, jusque-là considérés comme les actifs-refuges les plus sécurisés au monde, les signes de défiance se sont multipliés sur les marchés ces dernières semaines. De la désaffection relative des investisseurs à l’occasion de certaines adjudications du Trésor courant avril, aux anomalies observées entre les évolutions du taux de change du dollar et celles des taux d’intérêt, les témoins d’un changement de perception ont attisé les craintes et suspicions d’un possible déclassement de la dette des Etats-Unis et, par-delà, du rôle privilégié du dollar en tant que principale monnaie de réserve à l’échelle internationale.

Une incontournable question  

Dans un monde idéal tel qu’imaginé par D. Trump, l’économie américaine serait débarrassée de ses déficits extérieurs d’ici quatre à cinq ans. Les tarifs douaniers auraient découragé les entreprises étrangères à tenter de vendre aux Etats-Unis des produits qu’elles n’y produiraient pas. Les recettes des droits à l’importation auraient permis des baisses historiques, voire la disparition, de l’impôt sur le revenu, les investissements directs étrangers inonderaient le sol américain et l’économie américaine rayonnerait à nouveau.

La réalité est évidemment toute autre. Il n’aura pas fallu très longtemps, en effet, pour que D. Trump recule sur ses décisions protectionnistes du début du mois d’avril tant la guerre commerciale qu’il a ouverte le 2 avril s’est révélée un danger exceptionnel pour une économie ayant depuis trop longtemps trouvé ses ressources de croissance dans la consommation de ses ménages et leur endettement chronique qui va de pair.

De ce modèle est né le recours massif aux importations et la préférence pour une économie ouverte sur le monde extérieur, en particulier, sur les produits à bas coûts procurés par les pays du sud-est asiatique puis la Chine dès son entrée dans l’OMC au début des années deux mille. De ce modèle sont également issus les déséquilibres croissants entre les Etats-Unis et le reste du monde.

Rompre avec ces déficits, comme l’envisage D. Trump, impliquerait, dès lors, de rompre avec le confort qu’a procuré la mondialisation pour les consommateurs, entreprises et dirigeants américains, suivant un compromis tacite où chacun trouvait son intérêt : les Américains, en se procurant des biens à bas prix nécessaires pour satisfaire leur appétit insatiable de consommation, les pays émergents qui trouvaient auprès de ces derniers leurs principaux débouchés et, par-delà, leur première ressource de croissance et de développement. Les premiers accumulaient des déficits, presque sans limite, autorisés par la confiance dans la première monnaie de réserves au monde, que le seconds finançaient sans rechigner grâce à leurs excédents de dollars.

Le compromis gagnant-gagnant a marqué les développements économiques et financiers internationaux des quarante dernières années. Expression du privilège qu’offre une monnaie de réserve internationale, en l’occurrence, celui de vivre au-dessus de ses moyens, cette situation s’est, néanmoins, accompagnée au fil du temps de la formation de déséquilibres et déconvenues qui ont ponctué l’histoire économique récente : crises de surendettement, rivalité croissante des pays émergents au détriment de l’investissement et de l’emploi américains et dépendance de moins en moins supportable au financement extérieur.

Outre les déséquilibre extérieurs croissants, le coût budgétaire pour maintenir une croissance économique à un niveau digne de la première puissance mondiale, de plus en plus rivalisée par la Chine, est à l’origine de déficits publics chroniques que les crises récurrentes ont enflés jusqu’à provoquer une envolée de la dette publique de plus en plus coûteuse.

Déficits publics sans limite depuis le début de la décennie et remontée des taux d’intérêt ont provoqué un doublement de la charge de la dette fédérale, à plus de 1000 milliards de dollars l’an dernier qui, non seulement, obère les marges de manœuvres du nouveau président, en matière notamment de baisses d’impôts massives, mais menace de s’amplifier en l’absence de repli des taux d’intérêt.

Fin 2024, la situation extérieure nette des Etats-Unis était considérablement détériorée, avec une dette de 26,2 trillions, équivalente à 87 % du PIB.

Paradoxe de cette situation, inhérente au rôle de monnaie de réserve internationale, ces « twin deficits » américains n’ont pas occasionné de baisse du dollar mais, au contraire, son appréciation quasi-continue depuis dix ans qui ne trouvait son explication que dans le recyclage des déficits américains dans les actifs américains, parmi lesquels, notamment, les titres de la dette fédérale.

On comprend mieux la volonté de D. Trump de « libérer l’économie américaine » du rôle de monnaie de réserve du dollar américain et son insistance à pousser la Fed à abaisser ses taux d’intérêt. En menaçant cette dernière de perdre son indépendance en cas de résistance, c’est-à-dire de l’empêcher de jouer son rôle de préservation de la valeur du billet vert en veillant à la stabilité des prix, D. Trump a rompu le contrat de confiance qui prévalait entre les Etats-Unis et ses créanciers.  

De là à orchestrer sa dépréciation, possiblement en contrepartie de concessions définitives sur les droits de douanes, il n’y a qu’un pas que D. Trump, au pied du mur sera, à l’évidence, tenté de franchir au cours des 90 jours de trêve commerciale annoncée ces dernières semaines à l’égard du reste du monde puis de la Chine début mai.

Date de rédaction : 13 mai 2025

Véronique Riches-Flores - économiste

À propos de Véronique Riches-Florès, auteur de cet article

Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Florès dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique Observatoire français des conjonctures économiques , et dans la banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.