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Coup de fouet en retour : tensions sur les chaînes de production

Publié le 10 mars 2021

Auteur

Valérie Plagnol

Économiste, ancienne membre du Haut Conseil des Finances Publiques

Depuis plusieurs mois déjà, les chaînes d’approvisionnement sont sous tension. Croissance de la demande finale, goulots d’étranglement, pénuries de production se combinent pour expliquer les retards de livraison et l’accumulation des blocages tout au long des chaînes de fabrication et de circulation des containers.

Les sept cercles d’enfer de la chaîne de production

Faisons le point : le rebond de la demande – et donc du transport par container – s’est concentré sur les biens technologiques, les produits réfrigérés, les produits de grande distribution, le mobilier (le confinement a fait bondir le bricolage et l’aménagement intérieur). Ainsi la demande de containers, en baisse de plus de 10  % début 2020, a rebondi de plus de 5,5  % à la fin de l’année. Or, les capacités portuaires se sont trouvées dépassées – les bateaux attendant parfois plusieurs dizaines de jours avant de pouvoir charger ou décharger – faute de moyens techniques et humains (sous-effectifs, malades de la Covid, bloqués par les confinements, mal formés etc.). La production de containers ayant fortement baissé en début d’année, les transporteurs se sont précipités sur les stocks disponibles, tandis que les capacités de transport des plus grands containers s’avéraient insuffisantes. Mais là ne s’arrêtent pas les difficultés. Une fois débarqués, les containers doivent être transpostés à destination : le manque de transporteurs (beaucoup ont été atteints de la Covid-19, le secteur souffrait déjà de manque de main d’œuvre, les temps d’attente aux points de chargement se sont accrus, limitant les rotations), ou de camions aux capacités adéquates, contribuent à l’allongement des délais.

A l’autre bout de la chaîne, l’envolée des commandes par internet a accru les besoins de stockage dans les entrepôts des grands distributeurs. Ainsi, finalement arrivés à destination, au lieu d’être vidés et renvoyés, il arrive que les containers soient immobilisés sur place avec leur chargement, pour servir de stockage. Pire encore, une fois revenus au port, les containers vides s’accumulent faute de main d’œuvre ou de capacité de chargement pour les renvoyer sur les lieux de production et de chargement ! Ces dysfonctionnements se traduisent par un tri croissant des livraisons au profit des produits à plus forte valeur ajoutée – et donc les plus chers – tandis que les transporteurs réservent containers et bateaux à n’importe quel prix. Certaines compagnies aériennes disposant d’une flotte de long courrier ont pu prendre partiellement le relai, utilisant parfois les sièges passagers vides pour y déposer des « boîtes » – après validation des constructeurs. Mais ce mode de transport au demeurant onéreux et sélectif (très utile pour les vaccins, pas pour les pondéreux), est loin de pallier les blocages du trafic maritime. Alors que le trafic transpacifique s’intensifiait à l’automne, certains ports européens ont vu leur activité réduite faute d’arrivages – déroutés vers d’autres destinations. En amont de la chaîne, l’accélération de la demande de semi-conducteurs pour l’informatique et l’automobile, a mis Taïwan sous pression et érigé ce secteur en nouvelle priorité stratégique par l’Administration Biden. Alors que le principal producteur de l’Ile – TSMC – va s’implanter en Arizona, la constitution d’une filière de production prendra du temps et risque d’accroître ses coûts de fabrication. En attendant, à Taïwan même, la sécheresse menace de retarder un peu plus la production de ces composants, dont la fabrication nécessite beaucoup d’eau. L’Union Européenne entend également reconstruire une filière de ce type sur ses territoires. Mais à quelle échéance ?

Les effets de la reprise chinoise

La demande de matières premières a aussi été provoquée par la reprise de la Chine dès le printemps alors que l’Etat mettait en œuvre de nouveaux plans d’infrastructures. Il ne fait pas de doute que l’offre va progressivement s’ajuster et répondre à ces changements. Mais le temps manque, et il est fort probable que ces tensions vont perdurer encore tout au long de l’année. Au-delà, les enjeux de la révolution technologique et climatique sont à l’œuvre. La guerre commerciale et la défiance à l’égard de la Chine devraient pousser à la poursuite du découplage entre les grands ensembles économiques.

Au regard de ces différents facteurs, il reste encore difficile d’apprécier si la hausse récente des prix va s’installer.

Le secteur manufacturier
Un rebond ponctuel ou une tendance de fond ?

Il en est de même pour la pérennité du rebond du secteur manufacturier.  Au-delà des à-coups récents, nous pensons que cette reprise s’inscrit dans le cadre d’un cycle entamé en 2018. La crise de la Covid n’a fait qu’amplifier les tendances. En revanche, l’intensité de la reprise semble liée à des facteurs exceptionnels qui devraient s’estomper.

D’une part, il ne concerne pas tous les secteurs alors que s’amorce une nouvelle transformation économique, vers la production de biens plus en adéquation avec les impératifs de la lutte contre le changement climatique.

D’autre part, le rebond ne touche pas encore toutes les régions du monde : comme le montre le graphique ci-dessous, la hausse des prix à la production est particulièrement visible aux Etats-Unis et en Chine tandis que le rebond reste bien moins sensible en zone euro et au Japon. Les différences dans les rythmes de reprise expliquent ces écarts. Par ailleurs, le rebond actuel ne signale pas encore un rattrapage intégral par rapport à la période précédente : la pandémie et la récession de 2020 n’ont fait qu’accélérer le repli des prix à la production, déjà amorcé depuis 2018, alors que le secteur manufacturier était en fin de cycle. Enfin, toutes les productions ne sont pas concernées. La Chine s’inquiète même désormais d’un risque de baisse des prix dans la sidérurgie, alors que les tensions sur les prix des semi-conducteurs devraient, quant à elles perdurer.