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Scénario juin 2022 : on efface tout, on recommence
Publié le 24 juin 2022
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Les six mois écoulés ont bouleversé les perspectives.
Le 26 décembre 2021, l’indice Dow Jones de la bourse de New-York franchissait un nouveau record historique à plus de 36 000 points, suivi par le S&P500 et, à quelques jours près, par le CAC 40, à 7219 points le 2 janvier. À l’origine de cette confiance, l’évacuation de ce qui avait été la plus grande menace des deux dernières années – l’épidémie de Covid. Une fois cette dernière surmontée dans les meilleures conditions possibles, le consensus anticipait un rattrapage de la croissance d’autant plus assuré que l’accumulation d’épargne-Covid promettait d’être mobilisée pour soutenir, tout à la fois :
- la consommation, après une trop longue période de contraintes,
- l’investissement productif, dopé aux plans de relance,
- et l’investissement en actifs financiers et immobilier dans un contexte monétaire toujours très favorable.
Bourses mondiales – indice MSCI monde, en $

Dans ce climat, l’OCDE titrait ses perspectives 2022 sous un jour prometteur : « Faire de l’espoir une réalité », appelant des efforts généralisés des politiques gouvernementales pour supplanter les fragilités issues de l’épidémie et donner toutes ses chances à la reprise escomptée.
De l’inflation et de l’envolée des taux d’intérêt, l’institution ne se souciait guère, du moins avait-elle encore le loisir de ne pas y faire référence dans le résumé de ses perspectives de son blog le 1er décembre ; quant à la guerre, elle ne faisait pas partie du paysage.
Basculement
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février et la mise sous cloche de l’économie chinoise rattrapée par une vague de Covid plus importante qu’au début 2020, ont balayé d’un revers de manche cette vision. En quelques semaines, l’envolée des prix mondiaux de l’énergie et des produits alimentaires, ajoutée aux difficultés accrues d’approvisionnement consécutives à la paralysie de l’économie chinoise, ont conduit à un choc de prix sans égal, propulsant l’inflation des pays de l’OCDE à plus de 9 % dès le mois d’avril.
Inflation annuelle dans les pays de l’OCDE

Face à une telle accélération, le diagnostic d’un phénomène transitoire de hausses des prix qui avait accompagné la remise à flot de l’activité mondiale courant 2021, n’était plus défendable. Les Banques centrales, poussées par l’envolée des anticipations d’inflation, changèrent de braquet adoptant une posture résolument restrictive, de mois en mois plus offensive contre l’inflation, promettant remontées de taux d’intérêt et arrêt des injections de liquidités. En l’espace de quelques semaines, les anticipations de durcissement des politiques monétaires se sont imposées à l’échelle internationale, entrainant une envolée proportionnelle des taux d’intérêt.
Anticipations de politique monétaire

Un climat d’incertitude rarement égalé
Le changement de contexte qui s’est opéré depuis le mois de décembre est, de fait, exceptionnel. Non seulement les Banques centrales sont passées d’une posture d’extrême aisance à celle d’un durcissement marqué, mais la guerre, que nombreux imaginaient ne devoir durer que quelques semaines, s’éternise, avec son lot de tensions et d’incertitudes retransmises de manière plus ou moins fidèle par une instabilité hors norme des prix des matières premières, pétrole en tout premier lieu.
Après avoir redouté une spirale d’inflation salariale, à ce stade loin d’être tangible, ce sont maintenant les conséquences des pertes inédites de pouvoir d’achat sur la croissance que redoutent les économistes. Difficile, en effet, d’imaginer que les hausses de salaires puissent compenser ne serait-ce que la moitié d’une inflation de plus de 8 % en zone euro, même avec les réajustements des minimas salariaux opérés dans de nombreux pays.
Salaire horaire réels et inflation en zone euro

Aux États-Unis, où le rattrapage salarial a été plus robuste en début d’année, les dernières données témoignent d’une stabilisation autour de 5,5 % – là encore très éloignée de l’inflation de plus de 8 %. À partir de là, c’est tout l’espoir d’un rattrapage post-Covid de la consommation qui se trouve menacé et, avec lui, le scénario de reprise formulé en début d’année.
L’industrie, toujours sous contrainte d’approvisionnement, commence à pâtir du coup de frein sur la demande. Malgré un regain d’activité en début d’année, les derniers résultats sont décevants, pointant notamment les difficultés récurrentes du secteur automobile, toujours très influent sur l’ensemble de la dynamique industrielle et l’emploi.
Ventes automobiles

Alors que l’économie américaine, moins exposée que l’Europe à la guerre en Ukraine, voire susceptible d’en retirer des bénéfices, semblait pouvoir être relativement préservée, c’est de son côté que se concentrent aujourd’hui les plus grandes craintes de récession, dans un contexte de remontée beaucoup plus rapide des taux d’intérêt dont les effets sur la consommation et l’immobilier sont traditionnellement plus marqués.
Après une contraction du PIB de 0,4 % au premier trimestre, la FED d’Atlanta estime à zéro la croissance du deuxième quand, par ailleurs, la confiance des Américains est à un bas historique et que l’immobilier bât de l’aile.
Indice Michigan de confiance des consommateurs américains et récessions

Les Banques centrales peuvent-elles vraiment faire ce qu’elles nous disent ?
Il fait peu de doutes qu’une poursuite du resserrement monétaire au rythme de celui de ces derniers mois mettrait sérieusement à mal la conjoncture économique et que le prix à payer pour tenter de lutter contre une inflation essentiellement exogène pourrait bien en être une récession.
En sommes-nous là ? Le pire n’est jamais certain.
- L’inflation des prochains mois sera essentiellement dictée par les tendances à venir des prix du pétrole et autres matières premières. Or, resserrement monétaire et fragilité de la demande pourraient commencer à porter leurs fruits et à faire refluer des cours que nombre de spécialistes considèrent comme surévalués. Les effets de second tour ne sont pas non plus considérables et sans doute amenés à être limités par le ralentissement de la croissance.
Au total, le scénario d’un retournement de l’inflation, bien que régulièrement contredit ces derniers mois, reste encore le plus crédible et pourrait se voir confirmé avant la fin de l’été.
- Le retournement des marchés financiers a, par ailleurs, été violent depuis le mois de février, faisant de l’année 2022 la pire depuis 1950 aux États-Unis. Peu inquiétante tant qu’elle ne faisant que gommer les excès des deux dernières années, cette correction devient plus problématique dès lors qu’elle menace de les faire flancher plus brutalement et la FED pourrait y être progressivement plus sensible.
Évolution annuelle du S&P500 depuis 1950

- En Europe, le changement de cap monétaire ne se fait pas sans risque.
La situation souveraine est encore fragile et la BCE n’a pas les mains libres sur ce point. Si elle peut difficilement échapper à un retour vers des taux zéro, voire légèrement positifs, il est peu probable qu’elle aille aussi vite qu’elle le souhaiterait en matière de restriction monétaire sans risque de provoquer une nouvelle crise souveraine.
Taux à 10 ans italiens et spreads avec l’Allemagne

Dans l’ensemble, si le deuxième semestre 2022 se présente, sous un jour incontestablement préoccupant pour la conjoncture, il pourrait l’être moins sur le front des politiques monétaires malgré le durcissement du discours des Banques centrales en ce début d’été.
Dans un tel cas de figure, un reflux, même graduel, de l’inflation pourrait encore être en mesure de dévier la conjoncture de la récession qui la menace, notamment si l’économie chinoise parvient à surmonter sa crise sanitaire et à redonner un bol d’air à l’industrie mondiale.
Nous n’en aurons cependant pas terminé avec les questions inflationnistes et celles du nécessaire ajustement des taux d’intérêt.

À propos de Véronique Riches-Flores, auteur de cet article
Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Flores dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la Banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.