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La crise russo-ukrainienne ancre les anticipations d’inflation plus haute encore, les banques centrales répliquent
Publié le 21 mars 2022
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Conflit russo-ukrainien et regain de l’épidémie de Covid en Asie ont encore multiplié les sources de tensions inflationnistes ces dernières semaines
À 7,9 % aux Etats-Unis et 5,9 % en zone euro, l’inflation était déjà largement au-dehors des clous en février et les anticipations de réponses monétaires s’étaient musclées en conséquence.
Dans un tel contexte, les conséquences de l’invasion de l’Ukraine sur les prix mondiaux n’ont pas tardé à porter leurs effets. En dépit de l’impact économique redouté de cette crise, BCE et FED ont notablement durci leur posture à l’occasion de leurs comités respectifs de politique monétaire et promettent des actions de force. Les anticipations des marchés réagissent en conséquence se nourrissant du changement global des perspectives monétaires.
Anticipations de politique monétaire

Flambée des prix mondiaux
L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février a créé un vent de panique sur la scène internationale. Outre les craintes liées au conflit lui-même, c’est via ses effets sur les marchés mondiaux des matières premières que ces tensions ont le plus fortement retenti. La Russie, économie de relativement faible taille avec un PIB inférieur de 40 % à celui de la France, compte, en effet, parmi les premiers exportateurs de produits de base à l’échelle internationale.
- Hydrocarbures, matières premières industrielles et agricoles, dont le reste du monde, l’Europe en premier lieu, pourrait manquer dans le contexte de conflit, ont réagi sans délai à l’annonce de l’invasion de l’Ukraine.
- En moins de dix jours, les cours du pétrole se sont envolés vers des records historiques, à ponctuellement 130 $ le baril, suivis par la plupart des matières industrielles.
- Sur les marchés agricoles, les prix du blé ont enregistré une flambée sans pareille et, dans leur sillage, la plupart des autres denrées.
Cours du pétrole et des principales matières premières agricoles, en $
Les risques d’inflation déjà chauffés à blanc en fin d’année dernière, il n’en fallut pas davantage pour provoquer un changement radical des anticipations.
Sur le marché des obligations indexées du Trésor américain, le point mort d’inflation à 10 ans frôlait, pour la première fois depuis 1997, les 3 % début mars. En zone euro, les anticipations à 5 ans gravaient ponctuellement un record historique de 3,2 %.
Anticipations implicites d’inflation pour l’UEM
(marché des swaps)

Les banques centrales changent de ton
De telles évolutions sont assez largement insupportables pour des banques centrales dont la mission première est de préserver la stabilité des prix.
En dépit d’une relative accalmie, à partir de la deuxième semaine de mars, et malgré les risques économiques assortis à la situation en présence, la BCE a vigoureusement réagi à ce changement d’anticipations.
- Son programme d’achats d’actifs sera réduit dès le deuxième trimestre et pourrait être stoppé dès le troisième, en fonction de l’évolution de la situation et des perspectives d’inflation.
- La BCE précise, par ailleurs, qu’elle pourra procéder une remontée de ses taux directeurs d’ici la fin de l’année.
Alors que les craintes suscitées par la crise ukrainienne avaient laissé envisager un possible assouplissement de sa position, ces annonces ont largement pris les marchés à revers. Les taux futurs, qui s’étaient fortement repliés depuis le 24 février, ont retrouvé dès ces annonces leurs niveaux précédents.
La semaine suivante, la FED lui a emboîté le pas.
- Comme la BCE, cette dernière est nettement plus préoccupée par les risques inflationnistes de la crise ukrainienne que par ses conséquences économiques.
- Elle juge donc nécessaire de procéder à un resserrement monétaire plus marqué, qui impliquerait sept hausses d’un quart de point chacune de ses taux directeurs d’ici la fin de l’année.
La première décidée à l’occasion de ce même FOMC porte les taux des Fed Funds à 0,25 %-0,50 %, niveau qui atteindrait 1,75 % à 2 % en décembre de cette année et 2,8 % en fin d’année prochaine, au lieu de 2,1 % précédemment envisagé.
Les bourses applaudissent !
Malgré les craintes suscitées par la perspective d’un changement de cap monétaire ces derniers mois et plus encore depuis l’ouverture du conflit russo-ukrainien, ces décisions sont passées comme une lettre à la poste sur les marchés boursiers. Rassurés par la poursuite des négociations entre la Russie et l’Ukraine et les pays occidentaux, le reflux des cours du pétrole et, peut-être, l’optimisme affiché tant par Mme Lagarde et M. Powell, les indices ont récupéré une bonne partie du terrain perdu au lendemain du 24 février.
En Europe, l’Eurostoxx a récupéré 11 % entre son point bas du 8 mars et le 18 mars, retrouvant quasiment son niveau du 23 février ; à l’instar des grands indices de la région, CAC et DAX notamment.
Indices boursiers européens

Reste maintenant à découvrir la mesure du choc économique provoqué par ce conflit, à ce stade, très difficile à évaluer.
L’indice ZEW du climat de confiance des investisseurs allemands et le Sentix préfigurent un choc d’ampleur dont la confirmation pourrait sans tarder rattraper la confiance. La sensibilité du moral des investisseurs aux perspectives de resserrement monétaire pourrait alors s’aiguiser de nouveau.
ZEW, Sentix, récessions (trames) et PIB allemand


À propos de Véronique Riches-Flores, auteur de cet article
Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Flores dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la Banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.