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La Chine, de locomotive à potentiel boulet pour la croissance mondiale ?

Publié le 25 avril 2022

Auteur

Véronique Riches-Florès

Économiste

Un temps considérée comme la principale gagnante de l’épidémie de Covid de 2020, l’économie chinoise peine à être à la hauteur des attentes. La croissance annuelle de l’Empire du Milieu n’a pas excédé 4,8 % au premier trimestre, soit environ un tiers de moins que ce qu’elle affichait au cours des trois années d’avant la crise sanitaire et moitié moins qu’il y a une dizaine d’années. En guise de rattrapage, l’économie chinoise patine et, pour la première fois en trente ans, ne parvient pas à faire mieux que le reste du monde.

Croissance du PIB réel de la Chine et du reste du monde

Le premier trimestre a, pourtant, été meilleur qu’anticipé…

Avec le reflux d’Omicron dans le reste du monde, les exportations chinoises ont brièvement sauvé la donne avant que n’éclate la guerre en Ukraine. La production minière a fait le reste dans un contexte de remontée fulgurante des prix mondiaux de l’énergie et de progrès vers un nouveau mixte énergétique plus conforme aux contraintes environnementales.

Pour autant, le regain d’épidémie dans le pays et les réponses, en apparence disproportionnées, de la stratégie zéro-Covid du gouvernement pèsent sur les perspectives.

Le confinement de Shanghai, capitale économique et financière du pays, après celui de Shenzhen, souvent considérée comme l’usine du monde, ont enrayé une reprise d’ores et déjà laborieuse. En mars, la croissance annuelle des ventes de détail s’est inscrite en baisse de 3,5 %, un fait rarissime pour cette économie dont l’indicateur n’avait jamais connu de baisse annuelle à l’exception du début de l’année 2020, à l’occasion de la première vague de coronavirus.

Croissance annuelle des ventes de détail en Chine, en %

Dans les services, pour lesquels l’année avait plutôt bien commencé, les déconvenues des deux derniers mois sont plus importantes que dans l’industrie. En mars, la croissance cumulée de la production de services n’était plus que de 2,5 % par rapport à la même période de 2021 au lieu de 13 % en janvier ; des données à prix courants qui confirment une vraisemblable récession en volume, ainsi que signalé par les enquêtes auprès des professionnels du secteur, PMI notamment tombés à 46,7 points en mars.

Production dans les services en Chine, à prix courants

Mais le rattrapage domestique est compromis

La crise du Covid de ces deux dernières années semble avoir coupé court au processus de développement des activités tertiaires. La part du secteur dans la valeur ajoutée, qui s’était accrue de plus de quinze points au cours de la décennie écoulée, de 47 % à plus de 63 % en 2019, est retombée à 46 % du PIB en 2020, avant de remonter à seulement 54 % l’an dernier.

Pilier de la stratégie de recentrage de l’activité menée par le gouvernement depuis la crise de 2008, le développement des activités tertiaires n’est plus à la hauteur des espérances. Non seulement le secteur est affecté par les déboires industriels à répétition et les retombées de la crise sanitaire sur la consommation et les activités logistiques mais il subit de plein fouet la crise immobilière, amplifiée depuis l’été dernier par la faillite de nombreuses entreprises du secteur, au premier rang desquels Evergrande.

Structure de la valeur ajoutée en Chine, en %

Avec 50 % de l’emploi national, le secteur pèse de plus en plus sur la conjoncture.

Selon les dernières données, le taux de chômage des 31 principales villes chinoises atteindrait 6 % de la population active, un record depuis l’enregistrement de ces données.

Phénomène moins connu, la proportion de jeunes actifs de 16 à 24 ans sans emploi serait également proche de ses records du début 2020, à 16 %, un niveau digne de celui que connaissent les économies industrialisées les moins performantes.

Taux de chômage en Chine, en %

Alors que le pays n’a plus les moyens d’assurer une croissance des rémunérations comparable à celle du passé, la situation des ménages s’en ressent d’autant plus que leurs revenus de patrimoine immobilier et financier, dont la part n’a cessé de croître ces dernières années, sont impactés par la crise.

Indices MSCI chinois et mondial

La part des salaires dans le revenu disponible des ménages chinois n’excède pas 55 %, en effet, une proportion équivalente à ce qui est observé aux Etats-Unis et inférieure de 10 points environ à la France. L’excès d’épargne et le boom immobilier de ces dernières années expliquent dans une large mesure ce changement de structure. Il n’en demeure pas moins, que vue sous cet angle, la Chine a les caractéristiques d’un vieux pays industrialisé, très éloignées de ce que lui autorise son statut d’économie émergente : sa consommation par tête était en 2019 de 6 500 dollars seulement, en parité de pouvoir d’achat, plus de quatre fois inférieure à celle de la France, sept fois inférieure à celle d’un Américain moyen mais également très inférieure à la moyenne des principaux pays en développement.

Consommation par tête en parités de pouvoir d’achat – 2019

L’économie chinoise à un tournant de son histoire force à reconsidérer les pourtours de l’organisation mondiale

Au-delà du choc immédiat de l’épidémie de Covid, les perspectives chinoises, on l’aura compris, soulèvent bien des interrogations.

Promise à un vieillissement de sa population aussi rapide que celui de l’Europe au cours des trois prochaines décennies, sa capacité à continuer à jouer le rôle d’usine du monde, qu’elle a exercé ces quinze dernières années, semble d’autant plus compromise que se multiplient les sources de frictions géopolitiques internationales.

La guerre commerciale sino-américaine de l’administration Trump a laissé des marques que la stratégie de Xi Jinping dans le conflit qui oppose la Russie à l’occident pourraient venir transformer en profondes cicatrices.

En choisissant de soutenir V. Poutine dans son offensive contre l’Ukraine, l’Empire du Milieu fait un choix de confrontation politique qui vise en même temps la sécurisation de ses ressources stratégiques et une influence grandissante sur l’Eurasie et l’Afrique.

Nul ne sait dire, à ce stade, jusqu’où la mènera cette position ni même si le pays la tiendra durablement mais il s’agit à n’en pas douter d’un changement potentiellement profond d’organisation du monde économique.

A brève échéance, ces développements compliquent davantage les conséquences de l’épidémie de Covid sur l’économie locale et mondiale. A plus long terme, ils risquent de mettre en péril le processus de globalisation des échanges qui a accompagné l’émergence du pays ces dernières décennies et que la crise de 2008 a déjà enrayé.

Intensité des échanges mondiaux dans la production industrielle*

Dans le contexte en présence, les flux de capitaux se raréfient et cette tendance semble déjà avoir retenu la Banque centrale chinoise d’assouplir sa politique monétaire en mars, fragilisant un peu plus les bourses locales qui ne cessent de creuser leur écart avec le reste du monde depuis le milieu de l’année dernière.

Par ailleurs, l’activité, en partie paralysée par les restrictions sanitaires, n’a guère les moyens de satisfaire ses engagements internationaux. Mais se passer des biens chinois est impossible pour le reste du monde et les embouteillages de cargos au large des côtes chinoises depuis les confinements de Shenzhen et de Shanghai témoignent d’une situation inédite aux conséquences d’ores et déjà palpables sur l’activité industrielle mondiale. Moins criantes qu’au printemps 2021, les pénuries risquent de s’accentuer dans les prochaines semaines et d’exacerber les tensions sur les prix à la production inhérentes à la flambée des matières premières.

Après avoir illuminé les perspectives de croissance mondiale de court et de long terme depuis son adhésion à l’OMC en 2001, l’économie chinoise semble aujourd’hui constituer une source de risques diffus contre lesquels le monde occidental sera amené à se renforcer.

Cela devrait passer notamment par une relocalisation des centres de production en Occident ; une bonne nouvelle à terme pour le potentiel de croissance du vieux monde, qui nécessitera néanmoins du temps avant de se concrétiser.


Véronique Riches-Flores - économiste

À propos de Véronique Riches-Flores, auteur de cet article

Économiste, diplômée de l’Université de Paris I, V. Riches-Flores dirige la société de recherche indépendante RICHESFLORES RESEARCH depuis 2012, après une expérience professionnelle dans le milieu académique -Observatoire Français des Conjonctures Économiques-, et dans la Banque d’Investissement, (Société Générale Corporate & Investment Banking). Spécialiste de l’économie mondiale et des marchés de capitaux, elle réalise des diagnostics et prévisions s’appuyant sur une double approche à la fois conjoncturelle et structurelle.