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France : après les aides publiques, quelle sortie de crise ?
Publié le 05 février 2021
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En ce début d’année, la loi de Hofstadter, dite également du « glissement de planning », se rappelle bien cruellement à nous. Loi d’organisation empirique, elle porte le nom de son concepteur, énonçant le principe suivant : la réalisation d’un projet prend toujours plus de temps que prévu « même en tenant compte de la loi de Hofstadter » !
- Par glissement, j’appliquerai en premier lieu cette loi à la pandémie de la Covid-19, dont les résurgences – y compris en Chine – prolongent les souffrances des populations.
- Bien évidemment, la loi trouve sa pleine illustration dans le déploiement des vaccinations, dont on réalise ces jours-ci qu’il prendra plus de temps que prévu pour que l’immunité collective soit atteinte.
- Il n’empêche, un cap a été franchi, la mise en production et la distribution des vaccins n’est qu’une affaire de mois.
Les mutations « anglaise » et « sud-africaine » du virus sont à l’origine d’une nouvelle vague de contaminations et par conséquent de tensions sur les systèmes hospitaliers de nombreux pays
Les restrictions de déplacements et les fermetures prolongées d’activités amoindrissent et reportent les perspectives de rebond économique de ce début d’année. Le Fonds Monétaire International, dans sa dernière livraison, reste néanmoins globalement optimiste pour l’année qui vient, tout en soulignant que la reprise sera inégalement répartie.
- L’Europe, durement touchée, est à la traîne derrière la Chine et les Etats-Unis.
- Les populations les plus précaires sont durement affectées.
Tel est le cas pour la France. Face à la persistance de la pandémie, la Banque de France vient de ramener sa prévision de croissance pour 2021 à 5 % contre 7,4 % projetés en septembre dernier (le gouvernement maintient pour le moment son hypothèse de 6 %). La reprise s’annonce donc plus lente que prévu, laissant des pans de l’économie à l’arrêt pour de nombreuses semaines encore. Par répercussion, la France a dû reconduire les mesures d’aides d’urgence aux secteurs bloqués ce qui reporte également d’autant le calendrier de normalisation des finances publiques.
De son côté, la Chine a affiché une croissance de 2,3 % en 2020, l’un des rares pays au monde à avoir progressé l’an passé. Ces statistiques officielles permettent aux autorités de célébrer l’accomplissement de leur plan de doublement du PIB au cours de ces dix dernières années. Sans conteste, la Chine sort renforcée et plus influente de la crise de la Covid-19. Cependant, sa gestion de la pandémie, sa politique commerciale, les atteintes aux droits humains, les tensions géostratégiques, ont accru la méfiance – sinon le ressentiment – du reste du monde à son égard.
L’Amérique de Joe Biden semble décidée à rester le fer de lance de la « contestation », pour ne pas dire du « refoulement[1] ». En réponse, le Président Xi Jinping, au sommet de Davos, s’est présenté comme le défenseur de la coopération multilatérale, appelant à éviter une « nouvelle guerre froide ».
[1] Allusion à la doctrine de John Foster Dulles – Secrétaire d’Etat du Président Eisenhower – visant à « refouler » le communisme sur tous les fronts, et non plus seulement à « l’endiguer » (politique du « containment » de l’Administration précédente, qui se traduisit entre autres par la mise en œuvre du Plan Marshall).
Au lendemain des événements du 6 janvier, la Maison Blanche a retrouvé un locataire « apaisé » et une équipe alignée sur les objectifs clairs et cohérents de son programme. Mais l’unité politique affichée lors de l’investiture du 20 janvier n’aura pas fait long feu. Face au Congrès, où il ne dispose que d’une très courte majorité, les plans du Président Biden pourraient là encore prendre plus de temps que prévu.
France : l’aide d’urgence comme nouvelle normalité ?
En 2020, la France a engagé près de 44 milliards de dépenses supplémentaires (dont seulement 15,2 milliards auraient été effectivement décaissés), tandis que les recettes de l’Etat étaient amputées de 37 milliards d’euros par la récession. Soit au total 81 milliards d’euros, représentant la quasi-totalité de l’accroissement du déficit public porté à 178 milliards d’euros, contre une prévision initiale de 93 milliards d’euros.
- Ainsi, le déficit budgétaire s’établirait à 10,2 % du PIB en 2020 et la dette publique de la France atteindrait 116,4 % du PIB.
- Le budget 2021 sera un budget d’expansion autant que de défense. Il comprendra, entre autres, la mise en route du plan de relance de 100 milliards annoncé l’été dernier – et financé à hauteur de 40 milliards par les fonds européens – ainsi que la baisse annoncée des impôts de production. S’y ajouteront 20 à 35 milliards de dépenses d’urgence, correspondant à la prolongation des mesures d’aides débloquées au printemps. Ainsi, basé sur une hypothèse de croissance de 6 %, le déficit public s’établirait cette année à 8,5 % du PIB, portant la dette à 122,4 %.

La résurgence de la pandémie a contraint le gouvernement à reporter la réouverture de nombreuses activités au printemps. Les bars et les restaurants pourraient garder leurs rideaux baissés jusqu’à début avril. De même, les remontées mécaniques des stations de sports d’hiver resteront fermées en février. Aussi, les principales mesures mises en place depuis mars 2020 ont été reconduites. Elles concernent :
- Le fonds de solidarité, qui est une aide mise en place pour les TPE, les indépendants et les micro-entrepreneurs particulièrement touchés par les conséquences de l’épidémie et par les mesures de confinement, est prolongé jusqu’au 16 février 2021.
- Les entreprises pourront désormais contracter un PGE (prêt garanti par l’Etat) jusqu’au 30 juin 2021.
- L’ordonnance du 21 décembre 2020 prolonge jusqu’à la fin juin 2021 certaines mesures relatives au chômage partiel. Toutefois, ces mesures ne devraient plus concerner que les professions et salariés les plus vulnérables et les plus affectés par la crise. De plus, la part du salaire brut pris en charge sera ramenée à 60 % plutôt que 70 % dès le 1er février.
- Les prélèvements des cotisations sociales des échéances du mois de janvier sont reportés pour les entreprises et les travailleurs indépendants, dont l’activité est touchée par les restrictions sanitaires (tourisme, hôtellerie, restauration, culture etc.).
- D’autres dispositifs pourraient viser plus particulièrement les secteurs – notamment saisonniers – contraints à la fermeture.
- La prolongation du couvre-feu, voire un nouveau confinement, s’accompagneraient de nouvelles mesures d’aides spécifiques.
En 2020, la dépense publique totale aura atteint 62,5 % du PIB, contre 56 % en 2019 – déjà un record parmi les pays membres de l’OCDE.
- La pandémie et les mesures de sauvegarde de l’économie sont à l’origine de ce nouveau dérapage. L’OCDE, dans un récent rapport, avait pointé l’importance des dépenses sociales en France, qui à 30 % du PIB pour l’année 2019, sont les plus élevées parmi les pays membres de l’Organisation. Alors que l’urgence pandémique a reporté les négociations sur les réformes de l’assurance chômage ou encore de la retraite, la stabilisation de la dette et le retour des déficits dans les limites de Maastricht sont reportés au-delà de 2022.
- L’écart se creuse encore avec notre voisin et principal partenaire commercial qu’est l’Allemagne. Certes, elle connaît également une très forte détérioration de sa dette, qui devrait avoisiner les 75 % de son PIB en 2020, contre un peu moins de 60 % en 2019. Cependant, l’Allemagne dispose de marges de manœuvre nettement plus importantes.
La France devrait émettre 260 milliards d’euros d’obligations cette année. Le paradoxe vient du fait que la baisse des rendements nominaux a continué d’alléger le poids des remboursements de la dette dans le budget de l’Etat.
Après les aides publiques, quelle sortie de crise ?
Alors même que les délais pour atteindre les seuils critiques de l’immunité collective semblent s’allonger désespérément, la question de la sortie de crise est dans tous les esprits. Car même prolongées, il ne fait aucun doute que les aides publiques vont aller en s’amenuisant. La transition qui s’annonce et au cours de laquelle le soutien de l’Etat se réduira progressivement pour faire place aux forces du marché, de l’activité et de la concurrence, s’annonce d’autant plus délicate que les statistiques disponibles ne nous permettent pas encore d’établir un bilan correct de la situation.
Comme le montre le graphique ci-dessous, la « mise sous cloche » de nombre d’activités s’est traduite dans les faits par une chute impressionnante – et probablement artificielle – des faillites d’entreprises.
Selon la Banque de France, en octobre 2020, les défaillances auraient diminué de 33,5 % sur un an.

Cette tendance contraste avec l’augmentation de leur endettement sur la même période. Ceci s’explique en grande partie par les mesures de soutien, qui ont permis aux entreprises d’absorber une partie du choc économique subi.
- Selon la Direction Générale du Trésor, 95 % du choc du premier confinement aurait été compensé par les interventions publiques.
- Par ailleurs, nombre d’entreprises ont contracté des prêts par sécurité, afin de pouvoir faire face à d’éventuelles pertes d’activité.
- Selon la Banque de France, au 2e trimestre 2020, le taux d’endettement des entreprises a atteint 84,7 % du PIB soit une hausse de près de 12 points par rapport à la même période en 2019. Plus encore, entre mars et septembre, ce sont au total 174,5 Mds€ de dette brute qui ont été accumulés, dont 120,7 Mds€ de PGE. Ces mesures (PGE, chômage partiel, fonds de solidarité, report des charges, versement anticipé de crédits d’impôt), vont progressivement disparaître.
Les trésoreries effondrées se sont, en partie seulement, reconstituées au cours de l’été, avec la reprise de l’activité (graphique ci-dessous). Il n’empêche, certains secteurs sont durablement ébranlés. D’autres étaient déjà en perdition, ou du moins en grande difficulté avant la crise, celle-ci ayant servi d’accélérateur.


Destruction créatrice ou zombification dévastatrice ?
Une entreprise est qualifiée de « zombie » lorsqu’elle reste en activité alors même qu’elle ne génère plus de profits pour assurer la pérennité de son activité et pour couvrir le remboursement des intérêts de ses dettes.
- Devenue insolvable, le recours à des prêts en continu ou d’autres artifices peuvent lui assurer de survivre sans pour autant se redresser.
- Apprécier le moment où le dépôt de bilan est devenu inéluctable, lorsque le problème de liquidités n’est que le symptôme de la faillite du modèle économique, est bien entendu très délicat.
- Notre histoire économique récente est jonchée de redressements d’entreprises appuyés des fonds publics, qui n’ont pas toujours suffi à sauver les activités et les emplois en jeu.
La question qui se pose – et pas seulement en France – serait d’identifier les secteurs et les entreprises qui pourront se relever, ou qui, au contraire, sont définitivement condamnés par la crise.
« Hibernation » temporaire pour un redémarrage en trombe ? Ou bien « Zombification » par la poursuite de financements et d’aides qui ne permettront pas le retour à la profitabilité ? Pour les entreprises, l’accumulation des dettes contraint à des réductions de dépenses et plans d’investissements, dommageables pour le rétablissement pérenne des comptes de l’entreprise, qui risque de s’enfoncer dans cercle vicieux de l’attrition (de compétences, de moyens, de projets).
Ainsi, à terme, une telle dynamique détériore le tissu productif, notamment parce que les entreprises mobilisent des ressources et des facteurs de production qui, par conséquent, ne peuvent être réalloués vers des entreprises innovantes, performantes, sources de productivité et de croissance pour l’économie. De ce fait, sans destruction, il n’y a pas de création : la zombification de l’économie affaiblirait le processus dit schumpétérien de « destruction créatrice ».
Comme le montre le graphique ci-dessous, le redressement de l’investissement des entreprises, comme des ménages et des administrations, est encore insuffisant pour compenser les pertes du début de l’année. La part du Plan de Relance Européen promise à la France devrait permettre, entre autres, une relance de l’investissement en infrastructures et l’amélioration de l’habitat. Cette impulsion sera-t-elle suffisante pour soutenir les entreprises ? La baisse parallèle des impôts de production, promise pour 2021, devrait soutenir ces efforts en améliorant la compétitivité des entreprises de l’hexagone. Mais le chemin de crête est étroit et dangereux. Le risque est un nouvel abaissement de la croissance potentielle de la France (aujourd’hui estimée à 1,25 %).

L’interventionnisme massif de l’état a-t-il précipité un tel processus ?
Selon le Conseil d’Analyse Economique (CAE)[1], les entreprises qui se sont trouvées en faillite en 2020 étaient déjà très endettées et connaissaient une faible productivité du travail. Ainsi, ce sont les faiblesses propres aux entreprises – dette élevée et faible productivité – qui ont été décisives dans la mise en défaillance en 2020. Ainsi, le CAE soutient que la politique d’aides publiques massives a surtout permis de protéger les entreprises performantes – en « hibernation » durant cette crise.
Nous pensons que le taux de défaillance particulièrement bas l’an passé croîtra cette année alors qu’un exercice complet sera clos et que les Tribunaux de Commerce vont reprendre leurs activités (effet de rattrapage pour les dossiers en suspens).
[1] « Les défaillances d’entreprises dans la crise Covid-19 : zombification ou mise en hibernation ? », CAE, Décembre 2020, https://www.cae-eco.fr/les-defaillances-dentreprises-dans-la-crise-covid-19-zombification-ou-mise-en-hibernation
Les épargnants sont-ils trop frileux ?
Accroissement de la dette publique, hausse attendue du chômage, les ménages se montrent particulièrement inquiets face à ces tendances, ce qui explique la persistance d’une épargne importante. Le phénomène n’est pas nouveau, il s’est clairement amplifié avec les confinements et la récession.
- D’une part, les mesures de sauvegarde de l’emploi et les aides d’urgence ont permis de limiter les baisses de revenu des Français.
- D’autre part, contraints de rester chez eux, privés d’accès à de nombreux services, les ménages ont accumulé une épargne importante (le taux d’épargne a bondi à 27 %, contre seulement 14,9 % fin 2019).

Cette épargne forcée s’est essentiellement placée dans les comptes courants et sur les livrets d’épargne réglementée, notamment le Livret A, qui reste le support d’épargne préféré des Français.
- La reprise de la consommation au cours de l’été et un 2e confinement moins sévère ont permis de libérer une partie de cette épargne. Néanmoins, celle-ci reste supérieure au niveau d’avant-crise, transformée en matelas de précaution pour de nombreux ménages inquiets pour l’emploi et face à l’augmentation de l’endettement public. Cette dernière préoccupation, connue sous le nom d’équivalence ricardienne, décrit la propension croissante à épargner lorsque les ménages redoutent de devoir s’acquitter à l’avenir d’impôts supplémentaires du fait de l’augmentation de la dette publique.
- Ce climat d’incertitudes se reflète également dans la préférence pour une épargne liquide, disponible à tout moment, nette d’impôt et garantie par l’Etat. Ces accumulations vont néanmoins au-delà de ce qui semble nécessaire pour « faire face à un coup dur », et reflètent pour partie une allocation d’actifs peu efficace, alors que les rendements sont au plus bas, voire négatifs en termes réels.
