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Cartographie de la rentrée : entre rebond et essoufflement
Publié le 11 septembre 2020
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Avec la fin du confinement, le rebond de l’activité s’est confirmé tout au long de l’été. Néanmoins, de nombreuses incertitudes pèsent sur la rentrée et font encore souffrir certains secteurs. C’est surtout la crainte d’une recrudescence de la pandémie et d’un essoufflement de l’activité qui poussent à la prudence et à l’attentisme. Dans ce contexte, comment interpréter l’euphorie persistante des indices boursiers ?
Un mal encore insaisissable… : parallèle historique
Cet extrait d’un ouvrage paru avant la pandémie actuelle, nous rappelle les chiffres suivants :
Le 10 novembre 1918, [Edmond Rostand] se préparait à quitter sa maison du Pays Basque pour se rendre à Paris afin de participer aux célébrations de l’armistice imminent. (…) Une maladie sévissait dans Paris, des événements majeurs se déroulaient sur la scène mondiale. Soudain, des ailes frappèrent les vitres : Rostand ouvrit la fenêtre et laissa entrer dans la pièce une colombe (…) au moment où ses mains se refermaient sur elle, la colombe relâcha ses ailes. « Morte » s’exclama Rostand. (…) Un mauvais présage, pensa sa compagne. Trois semaines après, le célèbre créateur de Cyrano de Bergerac décéda à Paris de la grippe espagnole(1).
La « grande tueuse » – 1918 / 1920
- 500 millions de personnes, touchées de par le monde (soit un habitant sur trois)
- environ 50 millions de victimes (peut-être deux fois plus), soit au moins 2,5 % de la population mondiale de l’époque.
Cette pandémie n’était pas la première, mais son ampleur frappa d’autant plus qu’on entrait dans le siècle de la science, et que d’autres « grandes tueuses » comme la peste avaient été vaincues pour de bon.
C’est alors que l’on découvrit l’existence des virus. Dans le sillage de Koch et de Pasteur, on pensait avoir triomphé des grandes épidémies, en attestent les grandes avancées du XXe siècle.
- C’est ainsi que disposant de nouveaux moyens, les chercheurs ont réussi à identifier, retrouver, isoler et vaincre le virus H1N1.
- En 2020, l’OMS a déclaré l’Afrique exempte de la poliomyélite sauvage, dont le nombre de cas à baissé de 99 % dans le monde depuis 1988 et le lancement de l’initiative mondiale pour son éradication.
Pourtant, rien n’est jamais totalement acquis : pour preuve, le virus de la rougeole, qui avait fortement régressé et même disparu de certains continents, connaît, du fait de la stagnation des vaccinations, une recrudescence inquiétante dans le monde.
(1) In « La grande tueuse : comment la grippe espagnole a changé le monde » p.334, Laura Spinney. Editions Albin Michel, 2018
Une economie sous l‘impact du biais cognitif
En plus d’enrichir les recherches épidémiologiques et historiques, l’étude de la grippe espagnole a permis d’éclairer certaines questions liées aux pandémies virales, notamment leurs effets sur la population et les mesures qu’il convient d’adopter pour les prévenir et en limiter la propagation.
On fait désormais appel à l’économie comportementale dans le but d’anticiper les réactions possibles des populations afin d’introduire les politiques adéquates en matière de prévention et de lutte contre la propagation de la pandémie.
Depuis plusieurs années, l’approche comportementale de l’économie a introduit la notion de biais qui affecte les décisions des individus, remettant en cause le principe de comportement rationnel des agents économiques.
- Quelle que soit sa situation, une personne est influencée par des biais cognitifs.
- Contrairement aux hypothèses théoriques, un individu n’est jamais en possession de toutes les informations nécessaires à sa prise de décision.
- Ses choix sont également influencés par ses propres « biais » ou encore l’influence de son environnement.
C’est peut-être pour cela que, comme nous l’avons vu ces derniers mois, les politiques mises en œuvre font encore largement débat.
Plusieurs facteurs expliquent ces hésitations :
- Un premier problème réside dans la difficulté à estimer l’impact d’une pandémie sur la population. La plupart des personnes touchées « ne ressentent guère plus que les symptômes normaux de la grippe(1) ». Le dénombrement des personnes infectées reste donc très difficile à établir.
- L’absence de dépistage systématique général ne le permet pas plus.
- Par ailleurs, déterminer avec certitude l’origine (géographique, animale, patient zéro) et les modalités de propagation de la maladie, s’avère très difficile en temps réel.
- A cela s’ajoutent les difficultés d’analyse du virus. Ses possibles mutations durant les phases de contamination, son caractère saisonnier ou pas, le recensement exact des symptômes qui se manifestent, leur gravité – qui varie selon les individus – l’apparition de fatigues/douleurs post-virale, le rendent en quelque sorte insaisissable.
Ainsi, en cette rentrée, on constate une résurgence du nombre des infections en France et en Europe notamment mais s’agit-il pour autant du début d’une deuxième vague majeure, ou seulement d’une nouvelle vaguelette ?
- Les virologues envisagent plusieurs scénarios de persistance à bas niveau, ou au contraire, de résurgence brutale de la pandémie, sans que l’on puisse trancher clairement.
- Cela dépend autant de l’évolution du virus (ses mutations) que de notre propre comportement.
- Le manque de certitudes complique la tâche des scientifiques et des gouvernements, conférant parfois à leurs décisions un caractère arbitraire (fermetures de frontières quasiment sans préavis, impositions unilatérales de quarantaines, couvre-feux etc.), tandis que l’acceptation par la population des mesures de restrictions peut s’éroder.
- Un peu partout, des faits divers violents autour du non-respect des mesures sanitaires ont émaillé notre été et le débat au sein de la communauté scientifique ne s’est guère apaisé.
(2) In « La grande tueuse : comment la grippe espagnole a changé le monde » p.52, Laura Spinney. Editions Albin Michel, 2018

La vague de rentrée, du rebond…
Dans ce contexte global et national marqué par ces incertitudes, la course aux vaccins vient s’ajouter aux motifs de rivalités nationales.
- Pas de trêve estivale sur le front de la guerre commerciale sino-américaine.
Déplacée sur le terrain technologique et sous couvert d’atteinte à la sécurité nationale, l’intensification de la concurrence dans ce domaine menace de compromettre la reprise du commerce mondial, et pourrait provoquer la « balkanisation » d’internet – les deux grandes puissances cherchant désormais à rallier leurs alliés et leurs obligés à leur cause.
- En zone euro, sur le plan économique, les statistiques parues au cours de l’été ont bien confirmé l’impact de l’arrêt de l’activité au 2e trimestre, se traduisant par une chute des PIB entre -8 % et -20 % sur un an.
Dans le même temps, les indicateurs les plus avancés précisent les contours du rebond qui s’annonce assez vigoureux depuis. Seules l’amplitude du choc et celle du rebond varient d’un pays à l’autre. Ces différences tiennent principalement au poids relatif dans l’économie des activités les plus touchées et à la capacité propre des états à y remédier.

… à l’essoufflement ?
En franchissant à nouveau le seuil de 50, l’indicateur pointe vers une poursuite de l’expansion de l’activité, perceptible depuis l’été. Néanmoins, les indicateurs d’août ne progressent plus.
De plus, la reprise apparaît plus solide dans le secteur manufacturier que du côté des services – toujours bridés par les restrictions de mobilité. La construction tarde à repartir également.
En dépit d’une légère remontée des prix du pétrole, les indices des prix à la consommation (graphique ci-dessous) ont fortement décru ces derniers mois.

La hausse récente de l’euro, la période des soldes, la réouverture des frontières, ont pu contribuer à cette baisse. Elle n’en inquiète pas moins les autorités monétaires, qui voient leur objectif d’inflation s’éloigner un peu plus. L’inquiétude n’est pas nouvelle. Elle est partagée par les principales banques centrales de la planète.
- Aux Etats-Unis, le Président de la Réserve Fédérale, Jérôme Powell, en a tiré les conséquences en assouplissant ses objectifs de prix à moyen terme, et en recentrant l’action de la banque centrale vers le maintien du plein emploi.
- En Europe, la BCE s’apprêterait également à assouplir son objectif d’inflation, l’emploi n’étant pas formellement inclus dans son mandat.
En Europe, comme Outre-Atlantique, les banques centrales craignent de voir la désinflation s’installer durablement et altérer les anticipations des agents économiques. Car au-delà d’un ajustement temporaire à la baisse des prix – qui est plutôt favorable aux consommateurs et aux épargnants à court terme – une spirale auto-entretenue de baisses (déflation) entraîne avec elle la contraction de l’investissement, de la production et de l’emploi. Cette préoccupation n’est pas tout à fait nouvelle. La crise de la Covid-19 a ravivé ces inquiétudes.